Sur la commune de Larnarce, mais à deux pas du modeste bourg d’Issanlas, la tourbière de Sagne Redonde occupe à mille deux cent vingt mètres d’altitude le fond du cratère d'un ancien volcan âgé de deux millions d’années environ. La genèse de ce site, véritable château d’eau du secteur, est simple. Quand l’activité volcanique s’est achevée, le cratère du volcan s'est transformé en lac. Au fil des siècles, des végétaux aquatiques ont peu à peu colonisé les zones les moins profondes. Le froid et le manque d'oxygène ont alors limité le travail des micro organismes chargés de la décomposition de ces végétaux. Aussi, tiges, feuilles mortes et végétations diverses se sont progressivement accumulées au fond du lac, formant la tourbe. C’est simple, mais long, très long.
Pendant deux décennies, la tourbe fut extraite du site. Rappelons que son usage comme engrais, matériau isolant ou combustible est reconnu depuis fort longtemps et certains pays à l’image de l’Irlande ou de l’Islande en font une importante consommation. En 1999, l’exploitant du site cessa son activité pour cause de retraite. Le Conservatoire d’Espaces Naturels Rhône-Alpes en profita alors pour acquérir un peu plus de la moitié de la superficie de la tourbière, qui se développe sur une quinzaine d’hectares. Cette tourbière présente des richesses naturelles exceptionnelles et avec l’arrêt de son exploitation, de nombreuses plantes ont reconquis l’espace comme la très carnivore drosera et la laîche des bourbiers, toutes les deux protégées au niveau national. La faune n’est pas en reste : trente-sept espèces de libellules et trente-cinq de papillons. Les oiseaux liés aux milieux aquatiques trouvent là un idéal site de nidification. Enfin, on note la présence de la loutre qui se régale de la multitude des batraciens présents. Cette biodiversité alliée à l’indispensable rôle d’une tourbière pour la préservation de la qualité et la disponibilité de l’eau –une tourbière est une véritable éponge filtrant et régulant la gestion de l’eau- donnaient tout son sens à sa protection et sa mise en valeur.
Bien sûr, il est impensable pour le néophyte de se promener seul dans une tourbière ; le milieu est fragile et présente quelques pièges. Des randonnées de découverte accompagnées par un professionnel sont proposées et une première approche est possible au hameau de Beauregard, dominant l’ancien cratère. Il suffit pour cela de suivre les panneaux indicateurs. En quelques minutes à pied, en grimpant jusqu’à un modeste belvédère, quatre panneaux livrent les clefs des secrets d’une tourbière, de sa formation à son utilité. Outre ces légers aménagements sur place, la valorisation de cette tourbière, très pédagogique, est réalisée à travers diverses publications scientifiques et techniques en France et à l’étranger. « Sagne Redonde est une tourbière connue aux quatre du coin du monde ! » peut-on lire dans un document publié par le Conservatoire d’Espaces Naturels Rhône-Alpes. Le site sert aussi de base à des sessions de recherches, notamment l’étude des anciens pollens piégés dans la tourbe ainsi que la détection des espèces animales et végétales présentes sur le site par analyse de fragments d’ADN présents dans l’eau.
Toutefois pour étudier et apporter à tous la connaissance, il convient tout d’abord de préserver. Les premières actions consistèrent à restaurer la tourbière après vingt ans d’exploitation. Ainsi sept mares furent créées sur le site pour le maintien des libellules et des amphibiens. Ces mares furent ensuite naturellement colonisées par la végétation. Il fallait aussi maintenir le milieu ouvert par des actions de débroussaillage et un arrachage manuel des plantules. Le pâturage a aussi contribué à ce travail, mais il manque d’éleveurs intéressés. Il est à noter que sur l’autre moitié de la tourbière, non gérée par le Conservatoire d’Espaces Naturels Rhône-Alpes les usages que sont l’agriculture et la chasse ne semblent pas perturber l’intégrité du milieu… On ne joue pas les apprentis sorciers avec la nature. Si on la laissait faire, la tourbière qui est considérée comme une étape de transition entre le lac et son assèchement total disparaitrait. L’intervention humaine est indispensable pour en figer, ne serait-ce qu’un temps, l’évolution et avec elle celle de la faune et de la flore qui lui sont intimement liées. De multiples suivis sont réalisés sur place : températures, précipitations, hauteurs de la nappe d’eau, débits... De l’analyse de ces suivis naît le plan de gestion de la tourbière. Ce dernier indique les opérations à mener à bien comme par exemple de contenir la croissance des saules et des pins pour garantir l’ouverture du paysage, le nettoyage de certaines mares pour offrir de bonnes conditions à la faune y vivant…
Un travail de longue haleine pour permettre à tous de découvrir une tourbière en parfait état de fonctionnement, une richesse naturelle incomparable : la tourbière de Sagne Redonde.